Pour avoir une histoire aussi chargée, il faut commencer tôt. Dès la naissance, par exemple. Une tempête de neige battait le pays depuis plusieurs jours, mais ce matin-là, le vent est tombé.

Papa travaille en Afrique, maman a donc passé la fin de sa grossesse chez ses parents, à 170 km de la maison familiale. Papa n’a pas su venir à la naissance de son premier enfant, mais cette fois, il sera là. Maman ne voulait pas d’enfants, lui en voulait quatre. Je serai donc la deuxième et dernière. Tant qu’à faire, il voulait une fille pour commencer, mais il a eu mon frère. Il a tellement adoré ça, qu’il espérait un fils la seconde fois également. Décidément pas de chance, une fille. Mais plus tard, j’entendrai souvent que je ressemble à mon père, et que mon frère ressemble à notre mère.

Je vais naître dans un hôpital près de chez mes grands-parents. Cette fois, tout est prévu, l’accouchement est provoqué. Pas tant pour s’adapter au job de Papa, il ne décide pas de ses “horaires” de travail. En revanche, en tant que mari, il doit bien décider qui peut voir l’entrejambe de sa femme. Pour ne pas avoir à faire au médecin de garde le week-end, l’événement est organisé en début de semaine.

L’image est surprenante. Allongée sur le lit, entourée de sages-femmes, Maman fait son travail. De son côté, Papa bloque la porte de la salle avec son pied. Il faut dire qu’il n’y a pas que le médecin de garde à éviter. Aucun mâle, même médecin, n’a sa permission d’entrer dans la pièce. C’est Papa qui me raconte la suite de l’anecdote, l’air amusé. Il est le premier à m’avoir touchée et regardée, puis quand je l’ai regardé à mon tour, avec cette septième génération d’yeux verts après lui et sa mère, il conclut en souriant : 

  • Tu m’a regardé avec des yeux méchants, j’ai jamais vu un regard aussi violent de ma vie.